Pourquoi continuer à s’habiller si on reste à la maison ?

Profiter du confinement pour…

En tant que chercheur, je me demande toujours comment l’expertise que j’ai développée au cours des années peut être utile à la société, en particulier en ces temps d’une rare étrangeté. Comme j’ai vu certains de mes collègues poster des billets de blogue, je me suis dit que j’allais tenter l’expérience…

Ma grande fille de 16 ans, appelons là « Grande Fille » est revenue d’Irlande in extremis le samedi 14 mars, ce qui nous a précipités dès son arrivée en isolement volontaire, expérimentant ainsi les joies du confinement.

Les joies, car pour ma part, j’ai cru comprendre que cette situation était un excellent moyen de tenter des choses que je n’avais pas osées faire depuis des années à cause du regard des autres. Par exemple, je garde une coupe de cheveux de 3mm (sabot 1 pour les connaisseurs de tondeuse à cheveux) sur ma tête depuis des années suite à un pari audacieux fait avec mon beau-frère en 1998; pari, que j’ai perdu et qui m’a valu une tonte en bonne et due forme d’une chevelure ondulée… Après cette tonte, j’ai pratiqué le kung fu auquel je me suis adonné pendant quelques années, et cette coupe seyait (du verbe seoir dont j’ai vérifié la conjugaison en ligne) assez bien à ce nouvel hobby, puisqu’elle me donnait une certaine crédibilité… Mais bref… je m’éloigne, et cher lecteur, veuillez m’excuser mais ceci est mon premier billet de blogue.

Donc, quand confiné je me suis trouvé, j’ai décidé de laisser repousser ma chevelure ondulée, ce qui pour le moment est très moche comme me le rappelle régulièrement Grande Fille. Peut-être à la fin de cette crise, j’oserai poster la photo de cette chevelure… en me disant que de toute façon, la plupart des gens sont privés de coiffeurs depuis maintenant une semaine et que nous allons tous finir par revenir à un naturel certain quant à nos tignasses…

Ce nouveau pouvoir d’avoir la possibilité de tenter des choses inusitées en continu n’a pas échappé à mon fils de 11 ans (« Garçon ») qui s’est réjoui en décrétant que pendant cet isolement volontaire, le pyjama serait sa tenue officielle… Ce que « Grande Fille », ma conjointe, que nous appellerons dorénavant « Compagne » (dans le dico : « celle qui partage le sort de quelqu’un ») et moi-même avons trouvé une bonne idée ; car enfin, pourquoi s’embêter à s’habiller si on reste chez soi… après tout, dans la vie d’avant Covid-19, les journées pyjama n’étaient-elles pas populaires et signes de détente ?

Et nous voici donc, toute notre petite famille, confinée, passant du pyjama au mou, ne se coupant plus les cheveux, ne se rasant presque plus… mais continuant quand même à assurer une certaine hygiène corporelle, bien qu’il a fallu rappeler à Garçon que la brosse à dents n’était pas devenue un accessoire optionnel.

Quand les autres s’en mêlent

Quelques jours plus tard, le monde a commencé à s’adapter, et j’ai reçu dans ma boite courriel une invitation à me joindre à un appel conférence professionnel un peu plus tard dans la journée… J’ai alors eu un petit moment de panique… J’étais en pyjama, un mug à café posé sur mon bureau, les cheveux encore courts mais en désordre certain, une barbe de 4 jours, des sourcils en bataille, et un ordinateur équipé d’une caméra full-HD… et dans 2h, je serai face à mes collègues qui ne me connaissent qu’en veston-chemise, rasé, et avec aucun cheveux ne dépassant.

La fameuse phrase de Miuccia Prada, égérie de la mode, m’est revenue en tête « Ce que tu portes reflète la façon de te présenter au monde, surtout aujourd’hui, les contacts se font si vite. La mode, c’est un langage. » J’ai filé dans la salle de bain, je me suis rasé, j’ai choisi une chemise, un pantalon, repassé mes affaires, rangé mon bureau, mis une casquette, vérifié l’angle de ma caméra, qui a une option fabuleuse : pouvoir mettre un fond virtuel sur mon image (mais bon, apparaître avec un fond spatial ou le pont de San Francisco en arrière de moi rendait vraiment ma présence surréaliste, alors j’ai juste choisi de placer mon laptop à un endroit stratégique). Finalement l’appel conférence a eu lieu pendant 7 min45… tout ça pour ça !

Après cet appel, j’ai eu un flash… Compagne, Garçon et Grande fille pourraient témoigner du fait que c’est mon mode de fonctionnement… cette révélation de l’importance du regard des autres m’a conduit à essayer de comprendre s’il y avait un rationnel en arrière de cette obsession de vouloir bien paraître pendant 7 min 45. Je suis donc allé chercher dans la littérature scientifique et j’ai trouvé plusieurs éléments intéressants.

Ce que la science peut nous apporter sur « habit or not habit »

Les habits, et de manière générale notre apparence physique, font partie des canaux du non verbal, et c’est un moyen donc, par lequel nous communiquons avec notre entourage.

Selon Jennifer Baumgartner, psychologue clinicienne américaine, et auteure du livre « You are what you wear: what your clothes reveal about you », nous utilisons l’information portée par les vêtements de ceux que nous croisons pour juger de leur niveau socioéconomique, de leur niveau d’éducation, de leur sophistication, de leur succès, de leur moralité, de leur crédibilité. Quand même ! Ce qui explique pourquoi quand Compagne va magasiner avec moi, elle choisit intentionnellement et stratégiquement ses habits selon les choix de magasin que nous allons visiter… pour que les vendeuses croient qu’elle peut être une acheteuse et la considèrent avec égard. Et elle a raison ! Essayez, quand nous pourrons à nouveau le faire, de vous balader à Holt Renfrew, en survêtement un peu trop large… et observez les vendeurs/vendeuses…

Une étude de 1978 de chercheurs de l’université de Floride1 a montré que la manière dont nous sommes habillés a une influence directe sur le comportement de déférence des autres. Ainsi, des étudiants souhaitant passer dans un couloir où deux personnes discutent n’hésiteront pas à déranger ces personnes si elles sont habillées de manière casual, mais trouveront un autre chemin si elles portent un veston.

Un travail encore plus ancien de Lewis R. Aiken2, chercheur de l’Université de Caroline du Nord, a poussé l’étude de ce que nous portons jusqu’à établir un lien avec notre personnalité. Lewis avait trouvé que le style de vêtements pouvait être classé en 5 grandes catégories dont la fameuse catégorie (b) « confort » pour un style casual, qui révélait sur notre personnalité de l’auto-contrôle, de l’extraversion et de la sociabilité. Tout un style que j’aimerai bien projeter dans mon prochain appel conférence finalement. Évidemment cette étude a plus de 50 ans… mais figurez-vous que d’autres chercheurs s’amusent à reproduire ces résultats en utilisant les réseaux sociaux et les progrès en intelligence artificielle3.

Enfin cette étude fascinante où Diana Wiedemann et ses collaborateurs du Royaume Uni4 ont montré que porter du rouge nous fait paraitre plus agressif pour les femmes, et plus dominant pour les hommes… hummm… ça pourrait être utile quand je skype avec belle-Maman…

J’en avais assez pour justifier ma panique… OUI ! Ce que vous portez peut avoir une influence sur ce que les autres pensent de vous.

Pour conclure,

Mes flashs de prise de conscience se font souvent en deux temps, et cette fois-ci n’a pas fait exception. En effet, j’ai ensuite réalisé que, premièrement je ne vivais pas tout seul… et que ce que je portais au quotidien en cette période de confinement pouvait avoir un impact sur ce que Compagne, Grande Fille et Garçon allaient penser inconsciemment de moi… et que cela m’importait. Deuxièmement, j’ai réalisé que de m’être habillé pour l’appel conférence avait eu un effet positif sur mon humeur.

Depuis ce petit épisode de vie, je m’assure donc de continuer à me vêtir de la manière qui ressemble le plus à qui je suis, et en me faisant plaisir… Compagne semble avoir compris cela bien avant moi (comme d’habitude… j’en reviens pas d’écrire ça ! Tsé… les effets du confinement) puisqu’hier elle a revêtu un pantalon qu’elle avait acheté pour la soirée de Noël, et que finalement elle n’avait pas mis à Noël (certains mystères restent impénétrables…). Tout cela pour dire… whatever le dress code, il vaut peut-être la peine de prendre conscience que d’autres nous regardent, et que nous pouvons être confortable tout en assumant qui nous sommes… tiens, voilà une phrase que Catherine Dorion aimerait sans doute…

    1. Fortenberry, J. H., MacLean, J., Morris, P., & O’Connell, M.,1978. Mode of dress as a perceptual cue to deference. The Journal of Social Psychology, 104(1), 139–140.
    2. Lewis R. Aiken Jr., 1963. The Relationships of Dress to Selected Measures of Personality in Undergraduate Women, The Journal of Social Psychology, 59:1, 119-128.
    3. Yan, Z., Huang, Y., Nie, L., 2017. Inferring intrinsic correlation between clothing style and wearers’ personality. Multimed Tools Appl 76, 20273–20285.
    4. Wiedermann, D., BUrt, D.M., Hill, R.A., Barton, R.A., 2015. Red clothing increases perceived dominance, aggression and anger. Biological Letters, 11 : 20150166.