Analyse des expressions faciales lors du débat des chefs du 13 septembre 2018

[Initialement publié le 16 septembre 2018]

Lorsque nous regardons un débat électoral à la télévision, nous avons tous des impressionsquant à la performance des candidats. Certaines de ces impressions sont basées sur les idées échangées par les candidats, d’autres découlent de leur non-verbal et en particulier de leurs émotions affichées pendant le débat.

Dans ce billet, nous proposons une analyse sommaire des émotions affichées par les candidats en mesurant leurs expressions faciales à l’aide d’un système scientifiquement reconnu, le Facial Action Coding System, créé par Paul Ekman et Wallace Friesen.

Source: https://youtu.be/qg0AfXuM6tY

Petite mise en contexte

Les personnes qui désirent devenir des leaders se doivent généralement de jouer entre des attitudes de dominance (lorsque leur ego ou leur groupe est menacé) et des attitudes qui suscitent l’affiliation. Les expressions faciales, reflet des émotions, doivent donc tout à la fois exprimer des intentions agonistiques (agressives) et plaisantes selon la situation qui se présente à elles.

De nombreuses études scientifiques ont été réalisées sur le non verbal des politiciens, et son effet non seulement sur les émotions mais aussi sur les décisions des électeurs. Dans un débat électoral, celui qui veut montrer sa dominance dans un contexte de compétition (le débat) montrera, par exemple, plus d’expressions faciales de colère, qui se caractérisent en particulier par des sourcils froncés. Dans une situation d’absence de compétition (écouter une question, exposer une idée sans être interrompu), le leader peut plutôt tendre à afficher des émotions positives, signe de réconfort et d’invitation à s’affilier à lui/elle. Le réconfort s’exprime par un mélange de sourires et de sourcils levés.

Lecture scientifique suggérée: Stewart, P.A., Salter, F.K., & Mehu, M. (2009). Taking leaders at face value: Ethology and the analysis of televised leader displays. Politics and the Life Science, 28(1), 48–74. doi:10.2990/28_1_48

Lecture vulgarisée suggérée: Denault, V., & Labrecque, M. (2018). La politique par les gestes. Revue Dire, 27(2), 26-30. Repéré à https://www.ficsum.com/wp-content/uploads/2018/05/DIRE_ETE__2018_P26-30.pdf

Méthodologie

L’analyse globale a porté sur les 6 sujets suivants: la santé / l’éducation / l’économie / l’environnement / la promesse de démission en cas de non respect d’un engagement / la déclaration de fermeture. Nous nous sommes ensuite plus précisément attardés aux 4 sujets que sont la santé / l’éducation / l’économie / l’environnement.

Les analyses ont été scindées en 3 moments distincts: pendant que les candidats écoutent une question posée par un citoyen / pendant qu’ils exposent leurs idées sans être interrompus / pendant qu’ils débattent.

Les analyses ont été effectuées à l’aide du Facial Action Coding System, reconnu comme le standard dans le domaine de la quantification scientifique des expressions faciales.

Résultats

Analyse par candidat. 

Les candidats les plus expressifs ont été François Legault et Jean-François Lisée, avec respectivement 11,3% d’images de joie à l’écran et 2,6% de colère, 10% de joie et 0,8% de colère contre 4% de joie et 0,7% de colère pour Manon Massé, et seulement 1% de joie et 0,9% de colère pour Philippe Couillard (Figure 1). Autrement dit, François Legault et Jean-François Lisée ont été 10 fois plus positifs que Philippe Couillard qui est resté de marbre. Manon Massé a été 4 fois plus positive que ce dernier. Toutefois, François Legault semble être le candidat ayant été le plus agressif tout au long du débat.

Si nous portons cette fois notre attention sur les muscles du visage (unités d’action), nous constatons que François Legault et Manon Massé ont excessivement utilisé des haussements de sourcils (Figure 2a), signe de réconfort, peut-être pour tenter de convaincre leur public. Quant à Philippe Couillard, il se distingue des autres candidats par une plus grande utilisation du froncement de sourcils (signe de désapprobation), suivi de Manon Massé et de François Legault. Jean-François Lisée n’a presque pas utilisé cette unité d’action (Figure 2b).

En somme, François Legault a été expressif employant aussi bien des émotions négatives que positives, déployant même une certaine agressivité. Jean-François Lisée a aussi été expressif mais il a employé surtout des émotions positives. Manon Massé a été moyennement expressive mais le plus souvent positive. Philippe Couillard, quant à lui, est resté très neutre, usant toutefois plus souvent qu’à son tour de froncements de sourcils. Manon Massé et François Legault semblent donc avoir été les plus engagés dans l’objectif de convaincre leur public.

Analyse par candidat selon le moment. 

Tel que mentionné précédemment, nous avons distingué 3 moments, celui où les candidats écoutent une question posée par un citoyen, celui où ils exposent leurs idées sans être interrompus, et celui où ils débattent ensemble. Nous ne présenterons ici que les résultats pour quatre unités d’action: haussement de sourcils (Au1 et Au2), froncement de sourcils (Au4) et sourire (Au12).

En phase d’écoute (Figure 3a), Jean-François Lisée se distingue des autres candidats par une absence d’expression faciale, un visage contenu. Philippe Couillard, Manon Massé et François Legault affichent un froncement de sourcils dans 23% à 46% du temps. François Legault se distingue aussi par l’utilisation du haussement de sourcils, indicateur de l’émotion de surprise quand nous écoutons quelqu’un. Il affiche ces deux unités d’action (Au1 et Au2) dans 2% à 3% du temps.

En phase d’exposé (Figure 3b), les unités d’action Au1 et Au2 « envahissent » le visage de François Legault et Manon Massé. Ni Jean-François Lisée, ni Philippe Couillard ne semblent vouloir insister en haussant les sourcils alors qu’ils exposent leurs idées. Les froncements de sourcils diminuent chez tous les candidats pendant cette phase (de 25% en moyenne pour les 4 candidats à 5%). François Legault est le candidat qui recourt le plus au sourire pendant qu’il explique le programme de son parti, suivi de Jean-François Lisée et de Manon Massé. Philippe Couillard ne sourit que très peu.

En phase de débat (Figure 3c), Manon Massé et François Legault augmentent l’utilisation du haussement de sourcils et du froncement de sourcils. Philippe Couillard augmente lui aussi ces unités d’action mais dans une proportion moindre. Quant à Jean-François Lisée, il reste plutôt neutre.

Analyse par candidat suivant le sujet traité. 

Nous avons analysé les passages sur la santé, l’éducation, l’économie, et l’environnement, en restreignant notre analyse à la partie « débat » de chacun de ces sujets d’intérêt. Nous présentons à nouveau les résultats pour les haussements de sourcils (Au1 et Au2), les froncements de sourcils (Au4) et les sourires (Au12). Selon la Figure 4a, Philippe Couillard semble vouloir convaincre surtout en économie et en santé. Il semble plutôt sur la défensive en éducation, compte tenu de son nombre relativement élevé de froncements de sourcils.

Selon la Figure 4b, François Legault semble vouloir convaincre sur tous les fronts avec une légère plus grande utilisation de haussements de sourcils quand il débat sur la santé. Il utilise aussi relativement plus de froncements de sourcils quand il débat d’éducation. Notons que le visage de François Legault est au moins 4 fois plus mobile que celui de Philippe Couillard.

Bien que peu expressif (Figure 4c), Jean-François Lisée augmente son utilisation de haussements de sourcils et de sourires quand il débat sur la santé.

Enfin, Manon Massé (Figure 4d), semble manifester des haussements de sourcils surtout pour la santé. Nous pouvons remarquer que ses froncements de sourcils diminuent et que ses sourires augmentent quand elle débat d’environnement, peut-être un dossier qu’elle connait très bien.

Quand un électeur vous dit qu’il n’est pas satisfait de votre réponse, quelle est votre réaction faciale ?

Philippe Couillard reste de marbre. Jean-François Lisée et François Legault réagissent par un sourire franc. Manon Massé passe d’un sourire compatissant à une expression de tristesse. Observez les vidéos suivantes.

https://youtu.be/tq0ZvVYs-e4https://youtu.be/S5dZMWOCpNQhttps://youtu.be/bcf_a7sURM0https://youtu.be/Iwc1pq0qV6s

Conclusion

Au cours de cette petite analyse, nous avons pu constater que la dynamique des expressions faciales du débat a été dominée par une attitude de marbre de la part du premier ministre sortant, Philippe Couillard; une expressivité débridée de François Legault, le favori des sondages, tentant de convaincre sur tous les fronts, tantôt souriant, tantôt attaquant ; Jean-François Lisée s’exprimant avec économie et essentiellement par des émotions positives probablement pour susciter l’affiliation d’un plus grand nombre ; et Manon Massé tentant également de convaincre, tout en restant mesurée mais bien présente sur la scène du débat.

Les sujets sur lesquels Philippe Couillard semble s’être senti le plus attaqué a été l’éducation. De plus, la santé a été le clou sur lequel les trois autres candidats ont décidé de frapper, sans doute pour attaquer de l’héritage de M. Barrette.

Pour rappel, il s’agit ici d’une analyse sommaire, un reflet partiel des données dont nous disposons. Une des limites de ces données est que la codification du FACS n’atteint pas son plein potentiel quand les personnes parlent, puisque les unités d’action (actions des muscles) peuvent être déformées, surtout celles du bas du visage. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes concentrés sur les unités d’action du haut du visage, excepté pour le sourire qui reste fidèle même dans le cas de la production de parole. Cependant, il serait possible d’aller beaucoup plus loin, par exemple en scrutant les expressions faciales reliées au discours, ou aux attaques verbales des candidats.

Nous aurions aussi pu centrer notre analyse sur d’autres canaux du non-verbal, par exemple sur les mouvements des mains, ou encore la posture (la tendance à se mettre littéralement en avant ou en arrière), et les regards. De plus, nous aurions pu tirer profit des indicateurs non verbaux de dominance documentés par Judith Hall, chercheure renommée en non-verbal comme le ratio de dominance visuelle (c.-à-d., quel est le candidat qui a été le plus regardé par les autres au cours du débat ?), ou encore de la force de la voix ou le nombre de fois où un candidat en interrompt un autre avec succès pendant le débat, des indicateurs scientifiquement validés.

À ce sujet, puisqu’une plus grande expressivité faciale est reconnue comme un indicateur de dominance, tout indique que François Legault a clairement tenté de s’imposer en tant que futur premier ministre, en étant présent émotionnellement sur tous les sujets. Il a occupé le débat, son engagement ne fléchissant à aucun moment. Jean-François Lisée, quant à lui, a choisi d’afficher le plus d’affects positifs possibles, sans doute pour susciter l’affiliation d’un plus grand nombre. Les résultats suggèrent que Manon Massé a tenu tête aux autres candidats, malgré sa place dans les sondages. Enfin Philippe Couillard paraît avoir choisi la stratégie de celui qui semble contrôler les évènements et que rien ne peut perturber.

Lectures suggérées pour aller plus loin:

Troisi, A. (2002). Displacement activities as a behavioral measure of stress in nonhuman primates and human subjects. Stress, 5(1), 47–54. doi:10.1080/102538902900012378

Hall, J.A., Coats, E.J., LeBeau, L.S. (2005). Nonverbal behavior and the vertical dimension of social relations: A meta-analysis. Psychological Bulletin, 131(6), 898-924. doi:10.1037/0033-2909.131.6.898

Plusquellec, P., & Denault, V. (2018). The 1000 most cited papers on visible nonverbal behavior: A bibliometric analysis. Journal of Nonverbal Behavior. 42(3), 347-377. doi: 10.1007/s10919-018-0280-9

Remerciements: l’auteur souhaite remercier Vincent Denault pour ses commentaires constructifs sur une version antérieure de ce billet.