Expressions faciales des chefs lors du débat « Face-à-Face Québec 2018″​ du 20 septembre 2018

[Initialement publié le 25 septembre 2018]

Source: https://youtu.be/2WT5OQ_RRt0

Lorsque nous regardons un débat électoral à la télévision, nous avons tous des impressions quant à la performance des candidats. Certaines de ces impressions sont basées sur les idées échangées par les candidats, d’autres découlent de leur non-verbal et en particulier de leurs émotions affichées pendant le débat. Nous avons analysé les expressions faciales du débat du 13 septembre 2018 diffusé à Radio-Canada, et avons remarqué des stratégies émotionnelles différentes chez les candidats. Jean-François Lisée affichait des expressions faciales positives beaucoup plus nombreuses que les autres candidats. François Legault jouait l’offensive, présent émotionnellement sur tous les fronts, tout comme Manon Massé, avec cependant un peu plus de mesure. Enfin Philippe Couillard avait gardé une attitude émotionnelle très neutre.

Dans ce billet, nous vous proposons de quantifier à nouveau de façon sommaire les émotions des candidats lors du débat du 20 septembre 2018 en mesurant leurs expressions faciales toujours à l’aide du Facial Action Coding System, le système scientifiquement reconnu, créé par Paul Ekman et Wallace Friesen. Les résultats seront présentés par candidat et par sujet.

Rappel sur le non-verbal lors d’un débat électoral

Tel que mentionné dans le billet consacré au débat du 13 septembre, les personnes qui désirent devenir des leaders se doivent de jouer entre des attitudes de dominance (lorsque leur ego ou leur groupe est menacé) et des attitudes qui suscitent l’affiliation. Les expressions faciales, reflet des émotions, doivent donc tout à la fois exprimer des intentions agonistiques (agressives) et plaisantes selon la situation qui se présente à elles.

Suite au débat du 13 septembre, selon le site TooCloseToCall.ca, la stratégie de M. Lisée semble avoir porté ses fruits, suivie de celle de Mme Massé, alors M. Legault ne semble pas avoir convaincu. Quant à M. Couillard, il parait avoir gardé ses acquis. Considérant ce qui précède, nous vérifierons si les candidats ont changé de stratégie émotionnelle au cours de ce deuxième débat. Nous pourrions nous attendre à ce que M. Legault soit plus mesuré et que M. Couillard soit plus présent. M. Lisée et Mme Massé pourraient garder la même stratégie.

Méthodologie

Pour analyser les expressions faciales des candidats, nous avons cette fois découpé la vidéo en 4 sujets d’intérêt: la santé, la famille et l’éducation / l’immigration et l’identité / l’économie et les finances publiques / le mot de la fin. À l’intérieur de ces sujets d’intérêt, nous avons identifié des sous-sujets. Les sujets, les sous-sujets, leur durée respective (en secondes), ainsi que la part de présence à l’écran de chaque candidat sont détaillés au Tableau 1.

Un premier coup d’oeil à ce tableau nous indique que le pourcentage de présence à l’écran est bien équilibré, avec un léger avantage pour Jean-François Lisée (27,5%) et un léger désavantage pour Manon Massé (22,9%). De plus, nous pouvons remarquer que certains candidats sont plus présents selon les sujets et les sous-sujets. Par exemple, le sous-sujet de la famille a surtout été traité par Manon Massé (43,8%) et François Legault (38,4%). Celui des impôts est beaucoup plus équilibré entre les 4 candidats. Jean-François Lisée a été moins présent à l’écran pour la discussion sur les pourparlers constitutionnels, mais plus présent sur la discussion à propos de la caisse de dépôt où il a monopolisé 62,1% du temps d’écran. Jean-François Lisée et Manon Massé sont apparus plus engagés dans le domaine de la santé.

Nous avons ensuite quantifié les expressions faciales de chaque candidat, portant notre attention essentiellement sur la joie, la colère, et certaines unités d’action comme le haussement de sourcils (Au1 et Au2), le froncement de sourcils (Au4) et le sourire (Au12).

Résultats

Vérification préalable

Le débat « Face-à-Face Québec 2018 » ayant un format particulier (alternance de débats face-à-face et à 4), nous souhaitions d’abord vérifier si les candidats avaient une stratégie émotionnelle différente s’ils étaient face à un candidat ou avec les trois autres. Les résultats suggèrent (Figure 0) que cela ne semble pas être le cas pour les expressions faciales analysées.

Analyse des expressions faciales par candidat

Selon la Figure 1 et le Tableau 2, les candidats les plus expressifs ont été encore une fois M. Legault et M. Lisée, mais M. Couillard a ajusté sa stratégie émotionnelle en sextuplant son pourcentage d’expressions faciales de joie par rapport au débat précédent (de 1 à 6,9%). Par ailleurs, Mme Massé a augmenté ses expressions faciales de colère. Enfin, M. Legault a fortement diminué son niveau de colère au cours du débat (de 2,6 à 0,9%).

En observant les Figures 2a et 2b, nous pouvons constater que François Legault et Manon Massé utilisent autant voire plus de haussements de sourcils (signe de réconfort) que lors du premier débat, ce qui suggère une volonté de convaincre davantage. Toutefois, alors que les froncements de sourcils (signe de désapprobation) étaient très présents chez Philippe Couillard lors du premier débat et absent chez Jean-François Lisée, nous remarquons cette fois que le candidat du PLQ a fortement diminué l’utilisation de cette unité d’action. François Legault a aussi diminué l’utilisation de cette unité d’action, alors que Jean-François Lisée a augmenté son pourcentage de froncements de sourcils. Chez Manon Massé, cette utilisation est restée stable.

En somme, M. Couillard est le candidat ayant le plus changé de stratégie émotionnelle au cours de ce deuxième débat en augmentant ses expressions faciales positives. M. Legault, quant à lui, a montré une diminution de ses expressions faciales de colère, contrairement à Mme Massé chez qui elles ont augmentées.

Analyse par candidat suivant le sujet traité. 

Les analyses des haussements de sourcils (Au1 et Au2), des froncement de sourcils (Au4), et des sourires (Au12) nous indiquent que François Legault et Manon Massé sont en continuité avec le premier débat. Dans le cas de M. Legault, cette stratégie atteint un paroxysme avec son mot de la fin pendant lequel il emploie le haussement de sourcils plus de 70% du temps. M. Lisée a, quant à lui, diversifié ses stratégies émotionnelles, employant aussi bien des haussements de sourcils, des froncements de sourcils et des sourires tout au long du débat. Pour son mot de la fin, il n’utilise cependant que des sourires. Manon Massé au contraire sourit très peu pendant son mot de fin et va même jusqu’à froncer les sourcils jusqu’à 15% du temps dans cet ultime message aux téléspectateurs. Philippe Couillard fronce également beaucoup les sourcils pendant son mot de la fin, mais il compense avec des sourires dans une proportion presque aussi grande. Une fois encore, par rapport au premier débat, nous pouvons constater des stratégies émotionnelles très différentes, qui semblent avoir évolué.

Un exemple d’analyse d’une unité d’action par candidat suivant le sous-sujet traité. 

Pour chaque unité d’action, il serait possible de décrire leur occurence selon les sous-sujets du débat. Ainsi, puisque nous voyons un certain contrôle de la colère entre le premier et ce deuxième débat, regardons l’Au4 (le froncement de sourcils), laquelle peut être considérée comme un signe avant-coureur de la colère, ou simplement de désapprobation.

Pour Philippe Couillard (Figure 5a), nous pouvons observer une surreprésentation des froncements de sourcils quand le débat porte sur la santé des aînés ou celle des familles, puis sur les sous-sujets touchant l’immigration et l’identité, comme la souveraineté, la laïcité, et l’immigration. Le maximum des froncements de sourcils est atteint chez le candidat du PLQ lors de son mot de la fin, comme s’il tentait de souligner un moment grave.

Pour François Legault (Figure 5b), les froncements de sourcils apparaissent plus fréquemment lorsque le débat porte sur l’immigration, puisqu’il se fait acculer sur les critères de non acceptation des immigrants qu’il souhaite mettre en place, mais aussi lorsque le débat aborde l’UPAQ, revêtant cette fois-ci un caractère plus offensif vis-à-vis de M. Couillard.

Pour Jean-François Lisée (Figure 5c), la santé des aînés est le seul sous-sujet à susciter des froncements de sourcils prononcés. Enfin pour Manon Massé (Figure 5d), l’éducation est le sous-sujet pendant lequel l’Au4 est la plus souvent contractée, dépassant en pourcentage de temps celui de tous les autres candidats.

L’examen attentif de cette unité d’action particulière peut être utilisée pour nous orienter vers les possibles ruptures que chaque candidat pourrait éprouver vis-à-vis des sous-sujets abordés lors de ce deuxième débat.

Quelques éléments de plus

En terminant, lors de ce deuxième débat, l’expression faciale du mépris a pu être observée chez les candidats. Le mépris a pour fonction de démontrer sa supériorité à l’autre et a fortiori aux téléspectateurs. Jean-François Lisée détient la palme de la quantité de mépris exprimée lors de la discussion sur l’UPAQ, peut-être pour démontrer qu’il se situe bien au-delà des affaires de corruption. François Legault exprime son mépris lorsqu’est abordée la discussion sur les 75$ avec lesquels, selon M. Couillard une famille peut se nourrir pendant une semaine. Philippe Couillard affiche du mépris pour les autres candidats quand les sujets touchent à la santé et au fond des générations. Enfin Manon Massé se démarque des autres chefs en n’utilisant pratiquement aucune expression de mépris au cours de ce deuxième débat.

Par ailleurs, peut-être avez-vous remarqué que François Legault a utilisé à plusieurs reprises l’unité d’action Au18, illustrée ci-dessous, laquelle peut traduire un certain doute, particulièrement lorsque le débat a porté sur l’UPAQ, et sur la laïcité.

https://youtu.be/syMVG1gIrtw

Nous aurions pu nous intéresser également aux expressions faciales partielles qui durent une fraction de secondes et que les chercheurs appellent les microexpressions. Elles indiqueraient des fuites émotionnelles, autrement dit des émotions que les candidats tenteraient de dissimuler. Ci-dessous, François Legault présente une microexpression (de 1/5 de seconde !) de l’Au20 (étirement des coins des lèvres), qui se retrouve dans l’expression faciale de peur. Cependant, il est à noter que cette hypothèse de la fuite émotionnelle fait l’objet de débats entre les chercheurs via des articles scientifiques.

https://youtu.be/Uzj8LO6oWwE

Lectures recommandées sur les microexpressions:

Porter, S., ten Brinke, L. & Wallace, B. (2011). Secrets and Lies: Involuntary leakage in deceptive facial expressions as a function of emotional intensity. Journal of Nonverbal Behavior, 36(1), 23–37. doi:10.1007/s10919-011-0120-7 

Matsumoto, D. & Hwang, H.S. (2011). Evidence for training the ability to read microexpressions of emotion. Motivation and Emotion 35(2), 181–191. doi:10.1007/s11031-011-9212-2

Burgoon, J.K. (2018). Microexpressions are not the best way to catch a liar. Frontiers in Psychology, 20. doi:10.3389/fpsyg.2018.01672

Conclusion

Rappelons qu’il s’agit ici d’une analyse sommaire, un reflet partiel des données dont nous disposons. Tel que mentionné dans le billet consacré au débat du 13 septembre, la codification du FACS n’atteint pas son plein potentiel quand les personnes parlent puisque les unités d’action (actions des muscles) peuvent être déformées, surtout celles du bas du visage.Pour aller plus loin, nous pourrions donc identifier avec précision les séquences pendant lesquelles les chefs ne parlent pas et élargir notre analyse aux unités d’action du bas du visage avec plus de précision.

De plus, tel que mentionné dans notre autre billet, nous aurions aussi pu centrer notre analyse sur d’autres canaux du non-verbal, par exemple sur les mouvements des mains, ou encore la posture (la tendance à se mettre littéralement en avant ou en arrière), ou les regards. À ce sujet, nous conseillons la lecture des écrits de Judith Hall sur les indicateurs non verbaux de ce qu’elle appelle la dimension verticale de l’être humain (hiérarchie, dominance, etc.) et d’Alfonso Troisi, psychiatre et chercheur renommé en éthologie humaine, sur les indicateurs non verbaux de stress.

Hall, J.A., Coats, E.J. & LeBeau, L.S. (2005). Nonverbal behavior and the vertical dimension of social relations: A meta-analysis. Psychological Bulletin, 131(6), 898-924. doi:10.1037/0033-2909.131.6.898

Troisi, A. (2002). Displacement activities as a behavioral measure of stress in nonhuman primates and human subjects. Stress, 5(1), 47–54. doi:10.1080/102538902900012378

Pour conclure, notre analyse sommaire met en évidence un ajustement des stratégies émotionnelles pour Philippe Couillard, Jean-François Lisée et François Legault, contrairement à Manon Massé qui est restée fidèle à son image du premier débat. Toutefois, bien que ce billet permet d’illustrer sommairement la puissance d’une méthode d’analyse scientifique des comportements non verbaux, la présence ou l’absence d’un tel ajustement ne devrait pas, à lui seul, guider votre choix électoral. En effet, pour l’important exercice démocratique du droit de vote, la forme ne suffit pas. Informez-vous, écoutez les candidats, leurs réponses aux questions posées, et renseignez-vous quant à leurs positions sur les enjeux électoraux.

Remerciements

Je tiens à remercier Vincent Denault, co-directeur du Centre d’études en sciences de la communication non verbale, pour ses commentaires sur une version antérieure de ce billet.

Je tiens à remercier également Lou-Mai Plusquellec-François pour son aide dans l’édition vidéo, préalable à l’analyse des expressions faciales.